mercredi 24 octobre 2012

Philip Roth, Exit le fantôme


Philip Roth, Exit le fantôme, Paris : Gallimard, 2009 [2007], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire Pasquier, 326 pp.
Article datant de novembre 2009, sur le blog-notes de Misha Uzan.

 Philip Roth. Exit le fantme


Exit le fantôme (en anglais Exit Ghost) est le dernier épisode à ce jour des nouvelles de Nathan Zuckerman, le personnage favori et l’alter-ego de Philip Roth. Après Zuckerman enchaîné[1987] (qui réunit les quatre premières nouvelles L’écrivain des ombres, Zuckerman délivré, La leçon d’anatomie et L’Orgie de Prague), après La Contrevie [1989], Pastorale américaine [1999], J’ai épousé un communiste [2001] et La Tâche en 2002, l’écrivain Zuckerman aujourd’hui âgé de 71 ans, devenu célèbre mais retiré depuis de 11 ans dans une campagne perdue à 210 kilomètres de New York, fait son retour dans les ville des gratte-ciel. Il s’était retiré suite à des menaces de mort. Il s’était retiré pour s’isoler, pour ne plus se mêler aux mondanités et aux tentations de la ville. Il revient pour se faire soigner, tenter de recouvrer la maîtrise de sa vessie après une opération à la prostate qui l’en a privée. Tenter de faire cesser les petites fuites de pisse qui lui coulent dans le slip, tenter de recouvrer peut-être l’usage de son sexe. Il revient et dès son retour son ancienne vie reprend le dessus.



A peine arrivé il tombe par hasard sur Amy Belette, une vieille amie et maîtresse de E.I. Lonoff, son mentor, un autre grand écrivain, très admiré dans les années 50, décédé depuis plus de vingt ans et totalement oublié, que personne même, ne lit encore. Personne ou presque. Car Lonoff et après lui Zuckerman ont laissé derrière eux quelques passionnés de l’homme. Richard Kliman en est un. Journaliste, admirateur de Zuckerman, il veut écrire une biographie de Lonoff et révéler son grand « secret », une relation incestueuse avec une demi-sœur, à l’âge de quinze ans. Zuckerman, lui, déteste Kliman et veut empêcher toute biographie qui gâcherait la réputation de cet auteur qu’il a tant admiré. Amy, atteinte d’une tumeur au cerveau et elle aussi harcelée par Kliman, veut protéger son ancien amant. Celui pour qui elle a tout consacré, celui qui a quitté sa femme et ses enfants pour elle. Mais Jamie, une amie de Kliman n’est pas du même avis sur Kliman. Jamie et Billy sont un jeune couple marié d’une trentaine d’années. A la base ils ne sont qu’un couple new yorkais qui passe une annonce pour échanger leur appartement contre un autre à la campagne. Nathan Zuckerman, excité par son retour à New York, par la vue d’Amy belette dans une rue par hasard, répond à l’annonce. Et tout commence… Jamie vient de riches parents texans, conservateurs, abonnés au même Country club que les Bush. Le père de Jamie n’a jamais accepté Billy, un Juif. Jamie et Billy sont de la gauche new yorkaise, anti-conservateurs et postmodernes. Tous deux sont écrivains mais aucun d’entre eux n’a encore réellement percé. Nathan Zuckerman, impuissant et bien plus âgé, tombe pourtant sous le charme de Jamie. Complètement déboussolé il ne pense plus qu’à elle, à l’idée de lui parler, de la convoiter et s’imagine auprès d’elle.

L’histoire provient d’un rien. De fausses retrouvailles. Du retour d’un homme solitaire, d’un ermite, à la vie ultramoderne de New York. Lui qui n’a pas lu un journal depuis des années se retrouve dans le New York révolté de la réélection de Bush. Lui qui n’a pas eu de femme entre ses bras depuis une trentaine d’années au moins dit-il, n’en a plus que pour cette jeune femme, Jamie.
L’histoire paraît insignifiante. Pourtant elle prend forme petit à petit. Elle nous plonge dans les souvenirs de Zuckerman. Elle nous fait connaître Lonoff. Elle nous mène à la gauche radicalement anti-Bush qui n’en fait qu’une caricature digne de virulents critiques français. Mais l’histoire est pleinement américaine. Les milieux comme les auteurs dont il est fait référence le sont pleinement (et on ne les connaît pas toujours). On nage aussi au sein de la bourgeoisie juive new yorkaise. Avec Jamie on découvre les aventures sexuelles d’une jeune fille de bonne famille, qui ne l’est plus du tout. L’auteur dresse un tableau dévergondé des milieux bourgeois, des clubs de riches, des étudiantes de Harvard dont fit partie Jamie. Zuckerman est obsédé par Jamie, qu’il croit tromper son mari avec Kliman. Mais tout se trouble. Ecrivain, Zuckerman écrit son livre à partir de ce qu’il vit. L’auteur joue avec le lecteur par un procédé littéraire. Par moments, à trois ou quatre reprises, on peut lire des morceaux du roman que l’auteur Zuckerman écrit lui-même pour son prochain livre. Des passages écrits sous forme de dialogue entre Elle et Lui s’inspirent directement de ce qu’il vit, c’est-à-dire de ce qu’on vient de lire. Ce à quoi il ajoute son imagination et sans doute ce qu’il aimerait qu’il se passe ou ce qu’il aurait aimé qu’il se passa. Certaines choses donc, nous échappent. Sont-elles réelles ou émanent-elles de l’imagination du narrateur ? On ne saura pas. On ne fait plus bien la différence entre la réalité et la littérature. De la vie de Lonoff il ne reste plus que ses livres, de celle de Zuckerman bientôt aussi, de celle d’Amy, puis de Billy et viendra le tour de Kliman et de Jamie. L’auteur livre sans doute un seul message. A la fin il ne restera que la littérature. L’amour d’un écrivain qui écrit sur des écrivains, sur la littérature, sur l’écrit lui-même. De l’homme il ne reste plus rien, sauf son fantôme. Sauf son esprit, les souvenirs, ce qu’il a laissé derrière lui.

En 326 pages de livre on ne s’ennuie pas, on découvre un univers, un milieu, certains excès, certaines passions. Le livre semble suggérer au lecteur sans jamais qu’on sache ce que l’auteur pense, la littérature expose, le lecteur s’en fait son idée, ses opinions.
Auteur de Goodbye, Columbus et de Opération Shylock, Philip Roth est titulaire de nombreux prix en littérature, on parle de lui chaque année comme un favori pour le prix Nobel, mais il ne l’a toujours pas reçu. Après The Ghost writer en 1979, Exit Ghost vient sans doute achever les nouvelles de Zuckerman. Mais sait-on peut-être pas !




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