Publié sur http://un-echo-israel.net
le 23 avril 2010
Par Misha Uzan.
Neve Tzedek est le premier quartier juif construit hors les murs de
Jaffa en 1887. Il est à l’origine de la ville de Tel Aviv, fondée selon les
plans d’Ahuzat Baït, une société érigée pour l’édification de la première ville
moderne hébraïque. Neve Tzedek est aujourd’hui situé au sud-ouest de la ville. Le
quartier connaît un essor important dans les années 1890 et 1900, accueillant
des intellectuels de renom de la société juive en développement. On trouve
parmi eux l’écrivain Yossef Shmuel Agnon et le rav Avraham Itzhak Kook, rabbin
ashkénaze de Neve Tzedek. A partir des années 1920 néanmoins, le centre de
gravité de la ville se déplace. Les quartiers nord se développent et nombreux
sont ceux qui y fixent leurs demeures. Neve Tzedek tombe en désuétude. Il faut
attendre les années 1970 et l’arrivée d’un riche donateur anglais, nommé Dalal,
pour que le quartier se rénove et que voient jour des plans d’investissement et
de reconstruction. Aujourd’hui Neve Tzedek est sans doute le plus beau quartier
de Tel Aviv (bien que les rénovations y sont encore nombreuses), apprécié pour
ses rues calmes, ses cafés paisibles, ses maisons basses et colorées. Sur les
plans esthétique et culturel, Neve Tzedek est une pépinière de charme. Le
centre culturel Suzanne Dalal (du nom de la fille du riche donateur anglais,
décédée à un jeune âge) en est le point culminant. Nombre de représentations,
expositions, événements de toutes sortes s’y déroulent régulièrement. De nos
jours l’école française Marc Chagall y est implantée. Et de façon générale nombreux
sont les francophones qui y ont élu domicile, plus nombreux sont encore ceux
qui s’y promènent, qui s’y rendent pour déguster une glace ou un café dans des
rues qui rappellent presque certains quartiers de Paris. On l’appelait déjà à
l’époque le « Petit Paris », en référence à ses petites rues et ses maisons
basses. De même, les galeries d’art et les magasins de couture de luxe n’y sont
pas rares. Par ailleurs avec ses infrastructures et son histoire relativement
ancienne, tout en étant rénové de façon moderne, c’est sans doute l’un des
rares quartiers de Tel Aviv qu’on puisse qualifier d’ ‘ancien-nouveau’ (comme
Jérusalem ou Jaffa), en référence à la vision de Thédore Herzl dans son Altneuland
d’un pays à la fois ancien mais rebâti de façon totalement nouvelle.
Aussi Neve Tzedek connaît-il depuis quelques années un vrai renouveau
d’intérêt, une vivacité culturelle et une flambée immobilière. En plus des
petites et magnifiques maisons à terrasses, la grande tour blanche de luxe et
ses nombreux penthouses est une des plus réputées de Tel Aviv, et aussi une des
plus chères. A proximité de Jaffa, du bord de mer et des buildings d’affaire du
sud de Tel Aviv, Neve Tzedek est un quartier magnifique. Nous avons voulu
revenir sur ses fondateurs.
Contrairement aux
grands philanthropes que sont le baron de Rotschild ou Moïse de Montefiore, à
l’origine du premier quartier de Jérusalem en dehors des murs de la vieille
ville, les hommes qui ont sorti les Juifs des portes de Jaffa en créant Neve
Tzedek, puis Ahuzat Baït, les embryons de Tel Aviv, demeurent relativement peu
connus.
Aharon Chelouche
(19 mai 1840 – 7 avril 1920) fut le
premier homme à l’origine de l’initiative consistant à faire sortir la
population juive, de plus en plus nombreuse, des murailles de Jaffa, ville
alors surpeuplée et soumise à des conditions de vie et d’hygiène peu envieuses.
D’obédience religieuse, observant, Aharon Chelouche fut le chef de la
communauté sépharade de Jaffa au milieu du 19e siècle avant de
s’implanter à Neve Tzedek, le premier quartier du futur Tel Aviv.
Dans l’histoire du
sionisme, bien qu’assez oublié des livres d’histoire globale sur le sionisme et
l’Etat d’Israël, on rangerait Aharon Chelouche parmi ceux qu’on appelle les
proto-sionistes[1], ceux qui initient un
mouvement moderne d’implantation juive sur la Terre d’Israël avant même le début de la période
dite ‘sioniste’ et la première aliya de 1881-82.
Dès les années 1840
en effet, la famille Chelouche, originaire d’Oran, en Algérie, débarque en Israël
alors sous domination ottomane. Elle s’installe d’abord à Haïfa, avant de déménager
pour Sichem (ou Naplouse) puis Jérusalem, et enfin Jaffa. Grâce à ses succès
dans les affaires, Chelouche est alors commerçant, il achète des terrains vides
et y encourage l’implantation juive en permettant la construction à bas prix.
En 1883 il fait construire la première maison en dehors des murs de Jaffa. Elle
est encore totalement isolée et il lui faut attendre 1887 avant de s’y
installer. La même année est fondée Neve Tzedek (qui signifie ‘Oasis de
Justice’). C’est le début d’une aventure. On est en pleine première aliyah,
l’immigration des Hoveveï Tzion et des Bilouim venus de Russie. C’est l’époque
où sont fondées Petah Tikva (1878), Rishon Le Tzion, Rosh Pina ou encore Zikhon
Yaakov.
Un pont ainsi
qu’une rue aujourd’hui à Neve Tzedek portent le nom d’Aharon Chelouche. Au
numéro 32, on peut observer la maison Chelouche, ainsi qu’une synagogue
adjacente. Cette dernière est encore en activité aujourd’hui et sert de
synagogue de quartier. Petite, calme, de style traditionnel, elle accueille
chaque samedi la communauté. La maison, elle, actuellement en travaux, a connu
nombre de rebondissements historiques. On a longtemps cru qu’il s’agissait de
la première maison qu’il a construite en 1883. On sait depuis peu que celle-ci
se trouvait à Manshia, à quelques dizaines de mètres de là, un peu plus au sud,
plus proche de Jaffa. Elle fut entièrement détruite pendant la guerre
d’indépendance en 1948.
Aussi, bien
qu’Aharon Chelouche soit à l’origine de la première maison construite en dehors
de Jaffa, elle ne se trouvait pas exactement à Neve Tzedek, et ce n’était pas
celle que l’on observe aujourd’hui, postérieure de cinq années. Cette dernière
ne manque pour autant pas d’intérêt. En 1892 donc, Aharon Chelouche s’installe
avec sa famille dans une nouvelle maison où il vit avec sa femme Sarah, originaire
d’Irak, et ses sept enfants. Construite à l’origine à un seul étage, la famille
Chelouche en construit dès 1900 un second. Celui-ci est touché par un obus
allié pendant la seconde guerre mondiale et presque entièrement détruit. Il est
cependant rapidement reconstruit et restauré. Deux de ses fils, Avraham Haïm et
Yossef Eliyahou, suivent ses enseignements et montent sur le côté nord de la
maison, l’usine des ‘Frères Chelouche’, une usine de fabrication de matériaux destinés
à la construction de bâtiments grâce à une méthode de préfabrication qui fit
souche dans tout le pays.
Aharon Chelouche
meurt le 7 avril 1920, il est enterré dans l’ancien cimetière de la rue
Trumpeldor à Tel Aviv. La maison Chelouche devient un court temps la mairie de
Tel Aviv avant de devenir une école religieuse et bientôt la première école
mixte. Elle fut ensuite abandonnée pendant des dizaines d’années, un peu comme
le fut Neve Tzedek. Elle est revendue en 2001 à des particuliers. En 2007 elle
est rachetée par Marius Nechte, un riche homme d’affaires israélien, qui en
assure les rénovations.
Aharon Chelouche
fut l’un des pionniers du mouvement hébreu de la fin du dix-neuvième siècle. Le
quartier adjacent de Keren Hatemanim portait son nom avant d’être rebaptisé
sous l’influence de l’afflux des immigrants yéménites. Il comptait parmi les
grands hommes et intellectuels de Neve Tzedek avec le rav Kook (1865-1935), Alexander
Ziskind Rabinovith (1854-1945), ou encore les jeunes talents qui s’y sont
révélés au début du vingtième siècle comme Shaï Agnon (1888-1970), David
Shimoni (1886-1956), Yossef Haïm Brenner (1881-1921) ou encore Deborah Baron
(1887-1956).
Aharon Chelouche fut
un artisan et important investisseur de Neve Tzedek. Il en est l’un des ses
fondateurs, avec Shimon Rokach (1863-1922), Haïm Amzaleg (1824-1916) ou encore
Zerah Barnet (1843- 1945)
A suivre…
Voir le nouveau blog de Misha
Uzan : http://mishauzan.over-blog.com
[1] C’est ainsi qu’on désigne généralement des hommes comme le rabbin
Yehouda Alkalaï (1795-1874), sépharade de Serbie, Zvi Kalischer (1812-1875),
ashkénaze de Prusse orientale, ou encore Léo Pinsker (1821-191), l’auteur de Auto-émancipation,
en 1882.
Voir notamment : Alain Dieckhoff, L’invention
d’une nation. Israël et la modernité politique, Paris : Gallimard,
1993
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